Argumentaire

L’objectif de cette journée est d’interroger la vie et la culture des bibliothèques « savantes » d’aujourd’hui : comment se tissent les liens entre ces lieux de savoir (Jacob, 2007), la culture savante et la culture ordinaire des usagers ? Comment décrypter le paradoxe de la bibliothèque savante d’aujourd’hui, à la fois bienveillante et sacralisée ?

Depuis quelques années, en France, un souffle d’innovation parcourt le monde des bibliothèques de recherche et d’érudition, qui cherchent à adapter leurs services aux attentes des usagers tout en tenant compte d'un ensemble de mutations socio-techniques et éducatives (massification de l’enseignement supérieur; généralisation d’internet dans les foyers; recours aux ressources numériques dans la pédagogie; mutations dans les modèles de publication scientifique, etc). Les exemples de bibliothèques universitaires conçues sur le modèle des “learning commons” ou du “troisième lieu” sont désormais nombreux. Un des défis majeurs de ces projets d’innovation et de reconfiguration, qu’ils soient modestes ou ambitieux, reste celui de créer et de maintenir un dialogue fructueux avec les usagers qui contribuent, par leurs pratiques, à définir et à faire évoluer les lieux de savoir.

Afin d’approfondir notre connaissance des rapports qui s’instaurent entre les bibliothèques savantes d’aujourd’hui et ceux qui les fréquentent, nous proposons d'axer cette journée sur l’usager de la bibliothèque et les façons de faire qui, au quotidien, construisent l’expérience du lieu (De Certeau, 1990). Comment s'articule le travail de l'étudiant avec le lieu « bibliothèque » et ses différents espaces et services ? Quel rôle à la fois matériel et symbolique la bibliothèque joue-t-elle dans leur scolarité, leur affiliation disciplinaire, leur culture informationnelle et leur rapport au savoir (Després-Lonnet et Courtecuisse 2006, Micheau 2015) ?

Lieu de collaborations et d’échanges autant que lieu d’étude, la bibliothèque savante peut être considérée comme un des théâtres où se joue une intelligence collective entre isolement et solidarité, entre bruit et silence, entre papier et écran. Quelles sont alors les modalités et moments clés d'interaction avec les collections, les bibliothécaires et les autres usagers ? Comment, au final, les étudiants « habitent-ils » la bibliothèque? La question de l’habitation (Ségaud 2010) permet d’interroger le rôle de l’expérience individuelle et collective, dans des temps de vie, dans la fabrication de l’identité du lieu et la négociation des règles qui s’y appliquent. Comment se vivent les bibliothèques savantes entre les dispositifs de l’institution – qui se construisent dans une articulation entre discours, matérialités et pratiques,  et les manières dont les usagers et les bibliothécaires s’y installent et se les approprient ?

Les contributions à cette journée, s’appuient sur des recherches récentes menées dans des bibliothèques universitaires et à la BNF. Elles permettront de démontrer l'intérêt d’une démarche qualitative pour étudier la manière dont les usagers vivent la bibliothèque dans et à travers leurs gestes, leurs pratiques orales et inscrites, leurs sociabilités, leurs temporalités, leurs représentations. L’exposé des résultats des enquêtes sera suivi par une série d’ateliers thématiques, afin d’impliquer tous les participants dans la réflexion.

Bibliographie

De Certeau Michel. (1990). L’invention du quotidien : 1. arts de faire. Paris : Gallimard.

Després-Lonnet M. et Courtecuisse J.F. (2006). Les étudiants et la documentation électronique. Bulletin des Bibliothèques de France, n°2, p. 33-41.

Jacob, Christian (dir.).(2007) Lieux de savoir : espaces et communautés. Paris : Albin Michel.

Micheau B.(2015). Faire avec les ordres documentaires : pratiques info-documentaires, culture écrite et travail scolaire chez des collégiens. Thèse en SIC. Villeneuve d’Ascq : Université de Lille3.

Ségaud M. (2010). Anthropologie de l’espace : habiter, fonder, distribuer, transformer. Paris : Armand Colin.